24 heures dans
la peau d’un sanglier
Source RNC – Pascal Durantel
Animal d'une extrême discrétion, le sanglier est connu pour adopter des moeurs nocturnes. C’est la nuit, pour éviter l'humain, qu'il se déplace, qu'il se nourrit, qu'il se souille : bref, qu'il vaque à toutes ses occupations essentielles.
Un voyage au bout de
la nuit.
19 h LE RASSEMBLEMENT DANS LES
TAILLIS
Sous les halliers déjà plongés dans l'obscurité, dans un fourré secret et impénétrable, une agitation inhabituelle trouble le silence du soir. Des bruissements de feuilles, des craquements de brindilles, des pas furtifs résonnent dans le taillis. Soudain, éclairée fugitivement par un rayon de lune, une silhouette imposante apparaît : elle se tient dressée, boutoir au vent, oreilles et vrilles tenues à la verticale. Un sanglier aux aguets : il se sait vulnérable sur ce glacis qu'il vient de rejoindre. Minutieusement, il se livre à une exploration multisensorielle, privilégiant surtout son stupéfiant odorat. Puis, il fait quelques pas en arrière, rassuré tout en remuant la queue, le signe qu'aucun danger n'est a signaler. Il s'agit d'une laie, qu'ont aussitôt rejoint dix bêtes rousses qui se tenaient jusqu'alors terrées dans les couverts, et qui se regroupent sans bruit autour d'elle. Des effusions rapides traduites par des grognements discrets de satisfaction signalent que les sangliers se sentent en sécurité. Ces instants de sérénité, dans une vie mouvementée, sont mis à profit par les animaux pour satisfaire leurs besoins naturels. Le sanglier est un animal très propre, qui ne fait pas ses besoins à la bauge. Puis, la mère invite la compagnie à se mettre sur pied et abandonne les lieux d'un pas rapide.
19 h 30 AU
PETIT TROT …
Le
sanglier ne circule jamais au hasard. Principalement préoccupé par le besoin de
se sustenter durant ses randonnées nocturnes, il va adopter dans notre cas
précis une stratégie de recherche de nourriture. Celle-ci, généralement mise en
oeuvre par toutes les laies accompagnées de leur progéniture, une fois les
jeunes sevrés, pour rejoindre une ou deux zones principales d'alimentation. Pour
parvenir à ces secteurs privilégies, les animaux adoptent un trot rapide, estimé
entre 1 et 2,5 km/h grâce aux suivis réalisés par télémétrie. La première aire
de nourrissage choisie par notre compagnie est un noyer, situé en limite de
prairie artificielle, et qui a produit cette année de nombreux fruits qui ne
sont pas encore récoltes.
20 h DES NOIX
EN ENTRÉE
La
laie accompagnée de ses bêtes rousses se trouve maintenant sous le noyer. Des
claquements de mâchoires, des bruits discrets de succion, de soudains
craquements sonores signalent que les animaux se repaissent à satiété de
cerneaux, délicatement extraits de leurs coques.
21 h DIRECTION
LA PRAIRIE
Lentement, le groin au sol,
les sangliers abandonnent l'aire de nourrissage qu'ils fréquentent depuis
plusieurs jours, selon un calendrier horaire extrêmement ponctuel. Ils gagnent
d'un pas lent, à la vitesse de 0,2 à 0,4 km/h (selon une estimation sur les
animaux qui se trouvent en activité alimentaire sur zone), la prairie cultivée
située à proximité, plantée d'un mélange de trèfles et de graminées dont ils
raffolent. Les tiges et les feuilles de graminées (fétuque, dactyle, ray grass)
sont broutées avec déliées, mais aussi dans un but précis : celui de faciliter
la digestion grâce aux fibres riches en cellulose contenues dans ces plantes.
Les racines de trèfles et autres rhizomes vont compléter ce menu végétarien à
environ 80 ou 90 %. Dans la prairie, la laie initie aussi sa progéniture à la
recherche, en fouissant le sol, de petites proies animales (lombrics, vers
blancs ... ) qui offrent un apport en protéines et un complément énergétique non
négligeable ainsi que de mulots et de campagnols. Mais les animaux rendus
inquiets par l'arrivée d'un renard s'en vont d'un pas rapide (2,5 km/h). Pas
vraiment une fuite, mais une manière de se rassurer en abandonnant cette prairie
qui offre trop peu de couverts.
1 h AU HASARD
D’UN CHARDON
Fondue dans l'obscurité, la
compagnie qui longe une haie, a retrouvé un pas lent dont la vitesse n'excède
pas 1 km/h ; ce qui correspond à l'allure de quête opportuniste et aléatoire de
nourriture. Bien que les mâles soient surtout fidèles à cette habitude, une
compagnie dérangée, dont l'appétit n'est pas encore satisfait, peut adopter
aussi cette stratégie de recherche alimentaire. Un coup de groin porté çà et là
sur le cœur charnu d'un chardon, un bulbe ou un rhizome, croqués avec délices ;
une feuille ou une jeune pousse cueillies au hasard de cette billebaude finiront
bien par caler l'estomac !
2 h TOUS À LA
SOUILLE !
Bientôt, la compagnie
rejoint une queue d'étang. Le plan d'eau rafraîchit agréablement l'atmosphère,
un micro climat qui semble convenir aux sangliers. Ces derniers qui ne
transpirent pas souffrent de problèmes de régulation thermique, surtout durant
les chaudes soirées d'été ou de début d'automne. Et c'est avec un certain
entrain qu'ils vont rechercher un endroit frais et humide pour s'y vautrer :
jamais dans l'eau directement, mais plutôt dans la boue. La souille, cette
cuvette aménagée dans le sol détrempé remplirait deux fonctions : l'une
thermorégulatrice, l'autre sanitaire. En effet, après son bain de boue, le
sanglier se frotte ensuite conte l'écorce rugueuse d'un arbre - de préférence un
conifère où il abandonnera des traces de boue appelées "houssures" - pour se
débarrasser de la vermine qui l'incommode.
4 h DE RETOUR
DANS LA FORÊT
Rafraîchis, et après un
court repos pris à l'occasion de ce bain de boue tonique, les sangliers sont à
nouveau sur pied. Ils regagnent tranquillement la foret, sans oublier de faire
un crochet par la haute futaie de chênes pour un ultime repas. Le groin au sol,
à l'affût du moindre vermisseau, ils cheminent d'un pas inégal en fouillant
méthodiquement la litière. Ils sont à la recherche d'une nourriture qui dès la
fin de l'automne et durant tout l'hiver sera la base de leur régime : le gland.
Un fruit dont la consommation, les années où il se trouve en quantité
suffisante, aura d'importantes répercussions physiologiques, les laies entrant
alors en oestrus plus précocement. Le sanglier montre une rare habileté à
décortiquer les glands, rejetant l'écorce avec sa langue.
6 h FÉBRILE
PEU AVANT D'AUBE
Les
animaux - en particulier les laies - semblent soudain inquiets, fébriles et se
tiennent maintenant sur leurs gardes. Tandis que le ciel s'éclaircit, que
l'horizon rosit, les sangliers vont alors vider les lieux.
6 h 50 REFUGE
À LA BAUGE
Très discrètement, les
sangliers ont rejoint leurs bauges, plus ou moins regroupées autour de celle de
la mère. Il peut s'agir des mêmes
gîtes que ceux occupé la veille ou situés à peu de distance de ces derniers - un
refuge inviolable, situé à l'abri des regards indiscrets, au coeur d'un fourré
impénétrable. Mais un lieu confortablement aménagé aussi, où l'animal va se
reposer durant la journée, sur un fit de feuilles mortes ou d'herbes sèches car
il n'apprécie pas l'humidité lorsqu’il dort.
11 h APRÈS LE
RÉVEIL, LE MOMENT DES LAISSÉES
Des
grognements étouffés signalent le réveil des sangliers. Très discrètement les
animaux s'ébrouent, puis abandonnent leur bauge, sans toutefois quitter leur
couvert protecteur. Dissimulés sous les fourrés, et conduit par la laie, ils
gagnent une petite clairière située au beau milieu des ronciers. Cette ébauche
de randonnée diurne ne poursuit en fait qu'un seul but : les animaux, toujours
très propres, sont venus satisfaire leurs besoins naturels. Car il ne leur
viendrait pas à l'idée de faire leurs besoins à la bauge !
14 h PETITE
SIESTE FRAÎCHE
En ce début d'automne, les températures sont encore élevées dans la journée et le sol est sec. Les sangliers, pour une meilleure thermorégulation, incommodée par la chaleur et les parasites, décident de changer d'endroit. D'un pas tranquille, ils effectuent une centaine de mètres avant de se recoucher, à l'ombre, dans de nouvelles bauges plus fraîches.
En pleine chaleur, les
animaux recourent souvent à ce stratagème et se déplacent ainsi, mais jamais
loin de leur première remise quand il s'agit de laies accompagnées des
jeunes.
16 h COMBATTRE
LA CHALEUR
Très discrètement, les
sangliers abandonnent à nouveau leur remise. Ils souffrent maintenant vraiment
de la chaleur, et savent qu’à quelque distance de la, sous les halliers, et dans
une légère dépression du sol se trouve un endroit frais, humidifié en permanence
grâce à l'alimentation d'une source. Les animaux se souillent avec délectation,
enfouis dans la boue jusqu'au museau. Puis, après s'être frottés vigoureusement
à l'écorce de vieux chênes, ils regagnent leurs remises.
Grossièrement, le sanglier
occupe 50 % de son temps à s'alimenter et à se déplacer ; une période d'activité
respectée par notre compagnie dont la randonnée nocturne a duré 11 h 30. Durant
cette phase, on estime qu'une compagnie effectue un trajet de 2 à 15 km, sur une
zone d'activité journalière comprise entre 20 et 130 ha. Le domaine vital d'une
laie suitée est estimé à 5 000 ha, une surface beaucoup plus grande mais qui
n'est pas visitée en permanence. On y observe des zones de fréquentation
préférentielles qui peuvent dépendre de la nourriture disponible, de la
concurrence éventuelle, du dérangement, voire même de la pression de chasse. Le
mâle quant à lui dispose d'un domaine vital de 20 000 ha, voire
plus!