La SPA, sans pitié en Affaires
Sources
CAPITAL novembre 2001
On croyait que l'honorable institution se dévouait corps et âme
à la cause animale. Elle semble surtout appâtée
par le gain. Les adhérents qui osent protester sont
"démissionnés" sans ménagement.
Censée protégée les animaux errant, la SPA en
assure le ramassage et l’élimination pour le compte des communes. Un business
lucratif, bien que le but de l’association ne le soit pas.
Les amis des animaux l'ont surnommé « le tortionnaire de Toulouse », et
c'est à peine exagéré.
Responsable du refuge local de la SPA, Victor R. était pourtant censé
dorloter les bébêtes. Déformation professionnelle ? Pendant de longues années,
ce représentant en charcuterie a plutôt semblé prendre plaisir à les
tourmenter. «Il parquait les chats dans de minuscules clapiers à lapins et
euthanasiait lui-même les chiens à son domicile, dans des conditions
lamentables», raconte Annie Seralta, une adhérente très émue. Alertés dès 1990
de ces pratiques, les dirigeants parisiens de la SPA ont cependant laissé œuvrer pendant près d'une
décennie le tripier toulousain, sans lui infliger la moindre remontrance
: ils ne se sont résignés à s'en débarrasser qu'en 1999, pour éviter le
scandale. Quelques mois plus tard, en juin 2000, Victor R. a vu sa conduite
sanctionnée par six mois de prison avec sursis.
Imaginait-on que l'honorable «Société Protectrice des Animaux», fondée en
1845 et reconnue d'utilité publique en 1860, se dévouait corps et biens pour
protéger les animaux ? Egrenait-on
avec respect ses impressionnantes références – 500 salariés, 2 200 bénévoles, 52 refuges, 150 millions de
francs de budget et plus de 60 000 chiens et chats recueillis chaque année ?
Apparemment, on se trompait. L'association cache en fait des coulisses peu
ragoûtantes. Abattages des bêtes à la chaîne, affrontements sans merci pour
s'arracher les donations, juteuses activités commerciales, détournements
financiers, le tout baignant dans une opacité
comptable absolue... A l'évidence, certains amis des bêtes aiment aussi
l'oseille. «Un petit clan se partage le pouvoir dans le seul but de faire du
fric», accuse Maryse Bousquet, une ancienne déléguée, qui mène la fronde contre
l'association. Ni le président actuel ni la présidente précédente de la SPA
n'ont souhaité recevoir Capital et répondre à cette attaque.
Mais revenons à Victor R. Pourquoi diable la direction l'a-t-elle laissé
agir à sa guise ? Parce que, à en croire ses détracteurs, ses méthodes
expéditives ne seraient pas si exceptionnelles que cela. Pour ne pas heurter la
sensibilité du publie et de ses bienfaiteurs, l'association assure que 80% des
chiens recueillis dans ses refuges sont placés chez un nouveau maître. Mais ce
taux serait très surévalué. «Il faut le diviser par deux», affirme, avec
d'autres, un ancien gestionnaire du refuge de Gennevilliers, en région
parisienne.
Cet homme-là sait de quoi il parle. Le centre d'hébergement de
Gennevilliers, qui abrite 800 places (550 pour les chiens, 250 pour les chats)
et passe pour le plus grand d'Europe, est en effet une sorte d'abattoir géant :
des milliers d'animaux y sont liquidés chaque année par injection de Dolethal.
Les matous grassouillets et les Médor édentés, trop croulants pour être
adoptés, n'échappent jamais à la seringue. Mais quantité de chats et de chiots
en excellente forme ont aussi droit à ce traitement définitif, au motif que
leur race n'est guère à la mode (bergers allemands, par exemple). En définitifs
seuls les caniches, chowchows d'appartement ou autres lévriers afghans, qui ont
toutes les chances de faire saliver les clients adopteurs, sont sûrs d'avoir la
vie sauve. A condition que l'acquéreur débourse au moins 800 francs pour
couvrir les frais d'hébergement et de vaccination. Et, mieux encore, qu'il
fasse un don...
Plus étonnant : l'association gère aussi des fourrières. Il faut savoir
que la loi du 6 janvier 1999 oblige les communes à ramasser les animaux errants
(les Français abandonnent 100 000 chiens par an, record européen) et à les
éliminer dès lors qu'on ne retrouve pas leur propriétaire. Or, à qui les maires
délèguent-ils souvent cette activité ingrate ? Tout juste : à la SPA. En contrepartie d'une alléchante
subvention, calculée sur la base de 2, 3, voire 7 francs (à Cannes) par habitant, Elle se
charge discrètement de la basse
besogne. L'association
(théoriquement à but non lucratif) qui affichait, il n'y a pas si
longtemps, un fier objectif de « zéro euthanasie »,
a même acquis 60% du capital d'une fourrière privée concurrente, Chenil Service. Les 40 %
restants sont détenus par la Sacpa, numéro 1 de la capture d'animaux en France.
Un pacte avec le diable, aux yeux des militants.
Au reste, ces derniers ont bien d'autres raisons de grincer des dents.
Sur le terrain, ils condamnent les conditions spartiates dans lesquelles sont
hébergés les animaux et se plaignent du peu d'argent consacré à l'entretien des
refuges. La direction balaie ces comploteurs en les poursuivant
systématiquement (et à grands frais) en diffamation. Le climat est tellement
empoisonné que la suspicion a gagné le Conseil d'Administration de la noble
maison. «Depuis 1995, les administrateurs sont privés de tous documents par peur des fuites»,
raconte Maud
Offenthal, qui a siégé au conseil de 1986 à 1999. Le remplacement en
octobre 2000 de Jacqueline Faucher, présidente durant treize ans par le
vétérinaire Serge Belais n'a pas permis de mettre fin au psychodrame qui oppose
le siège parisien à la base.
Au cœur du conflit, les délectables héritages que les «mémères à chats»
(un terme souvent employé dans le monde de la protection des bêtes) lèguent à
la cause animale. Constitués d'appartements, de portefeuilles d'actions ou de
mobilier précieux, ces dons ont littéralement explosé, passant de 7 à 43
millions de francs entre 1981 et 1991, et à près de 100 millions en 2000. Le
pactole, auquel on peut ajouter 250 autres millions qui attendent un feu vert
administratif pour être réalisés, représente aujourd'hui la principale
ressource de la SPA.
Sympathique ? Assurément. D'autant que les généreux donateurs se
contentent souvent de désigner «la SPA» comme légataire, sans préciser l'usage
que celle-ci doit faire de leur fortune. Le magot doit-il servir à cajoler les
animaux de la ville où ils résident, à couvrir les frais de fonctionnement du
siège ou à assurer les fins de mois du refuge de Gennevilliers ? A chaque fois,
c'est la foire d'empoigne.
Pour résoudre la question à son avantage, il arrive que la direction
fasse parler les morts. Ainsi, lors du très important legs de Marie Yvonne
Brégante. Entre les animaux et les humains, cette Marseillaise, décédée en
1993, avait fait son choix, décidant d'offrir la totalité de ses biens à la
SPA, soit 6,5 millions de francs. Ravis, les bénévoles phocéens espéraient à
tout le moins qu'une partie de ce trésor profiterait à leurs protégés. Hélas !
Avant de mourir, leur a expliqué la direction parisienne, Mme Brégante aurait
verbalement indiqué que ses libéralités ne devaient pas servir les canidés des
Bouches-du-Rhône ! Invraisemblable, mais invérifiable. Moyennant quoi, les
toutous de la Canebière n'ont pas eu droit au moindre os. «Nous avons identifié
plusieurs cas similaires, où la volonté du défunt n'a, semble-t-il, pas été
respectée», se désole Maryse Bousquet.
S'il n'y avait que ces querelles intestines ! Pour s'accaparer les legs,
libres de tous droits de succession, la SPA doit aussi batailler contre
d'autres associations reconnues d'utilité publique. Ces concurrentes ont pour
nom Assistance aux animaux, Fondation Bardot et même Confédération des SPA de
France, une institution qui regroupe 250 associations locales de
protection animale. Domiciliée à Lyon, cette dernière n'a rien à voir
avec la SPA, mais a choisi d'utiliser le même sigle, tombé aujourd'hui dans le domaine public. Pour les généreuses
mamies, le risque de confusion est évident. Lors qu'un héritage se
profile, toutes ces bonnes œuvres se ruent donc sur le grisbi, en exerçant un
intense lobbying auprès du bureau des successions à la préfecture de police et
des chambres de notaires. Pour la «vraie» SPA, qui s'est jusqu'à présent taillé
la part du lion, cette lutte au couteau est stratégique.
170 000 francs en pièces d'or mystérieusement disparus
Que fait-elle ensuite de ces villas et autres pièces d'argenterie ? C'est
un peu fumeux. La Fiduciaire de la Tour, lors d'un audit réalisé en septembre
2000, déplore qu'aucune information comptable sur le service des legs ne soit
disponible. Jolie litote. En réalité, un flou artistique règne sur
l'utilisation de ces sommes, Il y a quelques années, par exemple, Jacqueline Faucher avait déposé à la banque de la SPA (le CCF) pour 170 000 francs de
pièces d'or issus d'un legs. Peu après, elle a découvert que le coffre
avait été vidé!
Mais cela ne suffit pas à expliquer les fins de mois difficiles de la
société protectrice. Ses effectifs pléthoriques, sa tendance à décourager les
bénévoles et surtout sa mauvaise gestion ne lui permettent pas de consacrer
l'essentiel de ses moyens au bien-être des animaux. « La SPA ignore ce qu'est
une gestion prévisionnelle et ne dispose d'aucun instrument précis », lisait-on
déjà en 1993 dans un document du ministère de l'Intérieur. Depuis le printemps
2000, c'est au tour de la Cour des comptes de plancher sur les budgets de
l'association. Ses investigations, quasiment bouclées, aboutissent à peu près
au même constat. Elles ont conduit Jacqueline Faucher à démissionner, tandis
qu'une plainte contre X a été déposée dans le Var.
Il faut dire que, encouragé par cette obscurité financière et par le
laxisme ambiant, certains délégués ont tiré sur la ficelle. Dans le Var, le
trésorier de l'antenne locale aurait ouvert un compte bancaire occulte afin de
détourner une partie des donations. Dans le Gard, où la SPI assurait le service
de fourrière de 250 communes, 600 000 francs ont disparu. Comme l'attestent des documents
que nous nous sommes procurés, des délégués de ce département avaient même
monté une drôle de combine: contre 120 francs ils promettaient de brûler les
cadavres d'animaux, mais les abandonnaient en réalité dan une benne. L'affaire
a été étouffée pour ne pas ternir l'image de l'institution. A Cherbourg
enfin, la responsable de
l'antenne a reconnu avoir détourné 1 million de francs pour renflouer
l'entreprise de son mari « Sur 180 comptes bancaires, plus de la moitié
n'étaient pas déclarés au siège », a révélé le président Belais.
Ce vétérinaire au sourire de play-boy promet de faire le ménage. Il a
annoncé un contrôle renforcé des antennes locales et la rénovation des refuges
(32 millions d'investissements prévus). Mais il n'explique pas pourquoi il est
resté silencieux durant les huit années où il a siégé au conseil
d'administration... Nul ne sait donc encore si la SPA bénéficiera dès l'an
prochain d'un salutaire coup de balai de Belais.
les laboratoires vétérinaires
–
Pas très
déontologique –
La
SPA a passé des contrats avec les laboratoires Pharmaceutiques pour la mise au
point de nouveaux médicaments. D’anciens
délégués comme le docteur Maryse Bousquet dénoncent les dérives
de la SPA.
Livrer en pâture des animaux que l'on est chargé de chouchouter, ce n'est
pas très chic. La SPA n'a pourtant pas hésité, en 1996, à «prêter» 24 chiens
pour tester un nouveau médicament contre la toux du chenil, une calamité dans
les refuges. Cet essai, numéroté ROX.95.PR, a été mené par le docteur Gilles
Hagege, vétérinaire en chef du refuge de Gennevilliers, pour le compte du
laboratoire Protocole. Le test, pas tout à fait anodin, comportait notamment la
réalisation de prélèvements dans les
bronches des chiens, après les avoir endormis. Contre son aimable
participation, la SPA s'est vu offrir une développeuse de radios. Alertés, les
amis des bêtes ont aussitôt crié au scandale, accusant la SPA de pratiquer
l'expérimentation animale un abus de langage puisque le médicament n'était pas
destiné à l'homme. Est-ce toute fois bien conforme à l'éthique d'une association
caritative de seconder ainsi un laboratoire pharmaceutique ? La question a été balayée par la présidente de l’époque
Jacqueline Faucher D'autres essais vétérinaires ont d'ailleurs été pratiqués
avec Rhône Mérieux (filiale de Rhône-Poulenc) et Sanofi Santé animale. Le
vétérinaire Jean-Pierre Kieffer, président du Conseil national de protection
animale, leur a donné son approbation : «Le refuge de Gennevilliers est une
véritable pépinière pour les essais cliniques», a-t-il expliqué.
Si le docteur l'affirme...