Je suis confortablement installée dans mon arbre. Je ne
sais pas trop quelle heure il est.
Le soleil montre le bout du nez. Il était temps, l'air est frais. Un peu de
soleil ne fera pas de mal.
C'est ma deuxième année de chasse. J'ai de l'expérience maintenant.
Je suis beaucoup moins nerveuse et plus sûre de moi. Je me suis entraînée
au tir tout l'été pour ne pas perdre la main et être prête pour l'événement.
La chasse est ouverte depuis maintenant une semaine. Je n'ai pas encore aperçu
de chevreuil. Mais ce n'est pas très grave. Juste le fait d'être dans le bois
et de pouvoir profiter de ce calme, quel moment merveilleux que d'être seule
avec soi-même et de pouvoir être en parfaite harmonie avec ce qu'il y a de plus
beau sur la terre : la nature, et tous ses petits habitants.
J'ai la tête appuyée contre l'arbre, les yeux fermés et je suis complètement
détendue.
Tout à coup, j'entends un
craquement de branches. Je lève la tête, j’ouvre les yeux et je l'aperçois. Il
est là derrière un arbre. Il a senti l'odeur des pommes et les a surtout vues.
Il fait deux ou trois pas en avant. Il ne sait plus trop quoi faire et
s'arrête. Il regarde autour de lui et avec assurance, il se dirige tout droit
vers les pommes.
Mon coeur bat à une telle vitesse que j'ai l'impression que ma poitrine va
éclater.
C'est un mâle. Il n'est pas très gros mais c'est la première fois que je vois
un chevreuil avec un panache. Il doit avoir 6 points. Je ne sais pas trop. Je
n'ai pas vraiment pensé à les compter.
Mon coeur continu à battre à 100 milles à l'heure, pas moyen de le calmer. J'ai
beau essayer de respirer calmement mais rien n'y fait.
Le bras tendu, l'arc bien en main, je vise le point vital et je décoche ma
flèche.
Mince ! Je l'ai raté. Mais que s’est-il passé?
La flèche s'est dirigée juste sous la cible.
Sans trop comprendre ce qui se passe, le chevreuil fait un bond et s'éloigne
mais, à ma grande surprise, après s'être éloigné que de seulement quelques
dizaine de mètres, il revient.
Voilà, j'ai une deuxième chance et cette fois ce sera la bonne.
Mon coeur bat toujours à une vitesse folle.
Le voici qui approche mais, à ma grande surprise, il ne se dirige pas vers les
pommes mais à ma gauche.
"Non, non, ne va pas par-là. Je ne peux pas tirer de ce coté", me
dis-je, intérieurement.
Je crois qu'il m’a vue. Il frappe par terre pour essayer de me faire bouger.
"Ha non, mon vieux, pas question, je ne bougerai pas.", pensais-je.
Comme je suis assise, je me demande comment je vais faire pour me retourner.
Car il faut que je me retourne pour pouvoir le viser. Je ne dois pas passer
cette chance.
Le chevreuil penche la tête. Il regarde le sol.
"Voilà ma chance!" me dis-je.
Je me lève lentement.
Mince! Il me regarde. Mais il ne bouge pas.
Je profite de la situation pour me retourner.
Il me regarde à nouveau en frappant la terre de ses sabots.
Le temps me paraît interminable.
Je me dis qu'il me voit, il sait que je suis là. Pourquoi ne se sauve-t-il pas?
Je me demande ce qu'il fait. C'est comme s'il voulait me défier. Et je n'en
crois pas mes yeux.
Alors le chevreuil tourne la tête ailleurs et je profite de cet instant pour
lui montrer qui est le plus fort des deux.
Je tire une seconde flèche.
Ça y est! Je l'ai eu!
Les jambes molles et le coeur en charpie, je me rassoie et j'attends une
vingtaine de minutes, puisque c'est ce que l'on m'a appris à faire dans une
telle situation.
Plus tard, sûre de moi, je descends de mon arbre et je pars retrouver mon gibier.
Je regarde le sol et découvre les premières traces de sang. Je vois de petites
bulles d'air dans le sang. Je dois l'avoir touché à un poumon. Je suis la piste
car ma proie ne doit pas être très loin maintenant.
Un peu plus tard...
À ma grande surprise, je retrouve une partie de ma flèche mais la pointe n'est
plus là. Elle est brisée en deux. Je n'aime pas ça du tout.
Mon ami, lui, est installé dans son arbre et il ne sait rien de ce qui se
passe. Je n'ai pas le choix. Je dois aller le chercher. J'ai besoin de son
aide.
Nous avons ratissé le bois au complet, dans les moindres petits recoins,
fouillé les fossés. Rien. Pas l'ombre d'un chevreuil.
Cela fait quatre heures que l'on cherche en vain. Je n'en peux plus, je suis
épuisée.
Mon compagnon me dit que je l'ai perdu, que je ne l'ai probablement pas bien
visé.
Je suis anéantie. Je m'assoie au pied d'un arbre et je pleure. Je pleure parce
que je l'ai blessé. En ce moment même, cet animal souffre par ma faute.
Mon compagnon essai de me consoler, de me rassurer en me disant que cela peut
arriver au meilleur chasseur mais rien n'y fait. Je me dis que la chasse pour
moi, c'est terminé. Plus jamais je ne chasserai.
Nous retournons à la maison. Mais je ne peux m'empêcher de pleurer. Je ne pense
à rien d'autre qu'à cet animal et à sa souffrance.
Il est 14 heures et j'y pense encore. Comme ma conscience n'est pas en paix,
j'enfile mes bottes et mon manteau. Je retourne dans le bois avec mon compagnon
et deux autres amis.
Encore une fois, on cherche partout. Peine perdue. Je n'ai jamais revu cet
animal.
Je ne suis plus retourné dans le bois pendant un mois. Un mois à essayer
de comprendre pourquoi cela m'est arrivé.
Vous allez me dire : "C'est parce que tu n'as pas eu de chance."
Ben non, ça m'est arrivé parce que j'ai cru que j'avais de l'expérience. C'est
mon orgueil qui a pris le dessus. J'ai cru que ce chevreuil me défiait et j'ai
voulu relever le défi.
J'ai appris. Plus jamais je ne m'acharnerai contre un animal. Si la bête m'est "destinée",
elle s'offrira à moi d’elle-même et je n'aurai pas à faire des pirouettes sur
mon poste, comme je l'ai fait ce jour-là.
Si l'animal est à un endroit où il m'est impossible de l'avoir, c'est qu'il ne
m'était pas destiné. Alors je me contenterai de le contempler et de le
remercier de sa visite. Je le laisserai partir.
Maintenant je sais ce qu'est un(e) bon(ne) chasseur/chasseuse. Ce n'est pas
celui qui récolte son gibier avec acharnement chaque année, mais c'est celui ou
celle qui sait accepter de revenir les mains vides.
Il (ou elle) repart avec les yeux et la tête remplie d'images merveilleuses et
ce, sans avoir blessé l'animal.
Maintenant je peux affirmer que j'ai de l'expérience.
Allfeline